Des provinces aux Etats federés : une option ou une obligation pour le développement de la RDC? (Tribune de Jules MUDARHI)
La constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour, à son article 2 dispose que : « La République Démocratique du Congo est composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juridique ». Les provinces et les entités territoriales décentralisées de la République Démocratique du Congo sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux. Ces entités territoriales décentralisées sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie. Elles jouissent de la libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques (article 3).
La RDC consacre la décentralisation dans la constitution. Cependant, La complexité des règles et mécanismes de fonctionnement entre le pouvoir central et la province d'une part et entre les institutions provinciales de l'autre rend indispensable l'élaboration d'une loi fixant les principes fondamentaux devant régir la libre administration de la province ainsi que l'autonomie de gestion de ses ressources humaines, économiques, financières et techniques, conformément à l'article 123 de la Constitution. En 2008, est promulguée la loi portant libre administration des provinces. Elle affirme, dans son exposé des motifs que la province est une composante politique et administrative du territoire de la République, dotée de la personnalité juridique et gérée par les organes locaux.
Il subsiste bien un écart entre le cadre juridique établi concernant la décentralisation et la réalité appliquée dans ce cadre. Même si les provinces de la RDC possèdent sur papier les moyens d’exercer ses compétences, il reste en pratique souvent dépendant de l’Etat qui exerce une grande pression sur les décisions d’investissements et sur le fonctionnement quotidien via les dotations allouées. L’autonomie financière dont jouissent les provinces n’est donc pas encore si poussée comme stipulent les textes juridiques. Notamment, la mise en œuvre de l’article 175 alinéa 2 de la constitution qui dispose « La part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source », fait défaut. En l’absence de cet élément financier crucial de la décentralisation, cette dernière est loin d’atteindre ses objectifs.
Jules Jules MUDARHI CIRAGANE ( Photo tiers) |
Il ressort de ce qui précède une question : La transformation de la RDC en État fédéral, conduirait elle enfin au développement des provinces ? Empêcherait-elle par la même occasion la balkanisation de ce grand pays au centre de l’Afrique ?
« Ce sont la différence et la diversité qui produisent le fédéralisme, et le fédéralisme qui produit la fédération », d’après Michel Burgess Directeur et Professeur des Études sur le fédéralisme Université de Kent. Le concept de fédéralisme prête souvent à confusion : il est assez mal connu à travers le monde où il suscite trop souvent des réactions inappropriées et inspire parfois le sentiment de peur pour certains. Il est bon de revenir à ses origines pour tenter de le caractériser historiquement, institutionnellement et géographiquement et d’en préciser in fine les enjeux. Le concept fédéral moderne est avant tout une notion démocratique qui valorise le respect face à l'identité des peuples et à leurs choix politiques.
Il est incompatible avec les définitions populistes de la Démocratie et se fonde sur le respect des droits individuels, le processus constitutionnel et la primauté du droit. Il ne s'accommode pas des éléments de la société qui se croient en prise directe sur les intérêts supérieurs ou réels de la population. Le concept fédéral reflète bien la dynamique politique et les notions rivales d'intérêt public. Il tient compte du souhait, souvent exprimé, de limiter l'influence de l'État (pouvoir central dans un Etat unitaire). La RDC n’est à sa première expérience du fédéralisme (Zaïre 1960-1965), mais cette dernière s’est estompée en 1965 pour des diverses raisons que nous aborderons dans les lignes qui suivent.
Il découle de ce qui précède trois principes fondamentaux du fédéralisme qui sont : les principes de séparation, autonomie et participation.
Le premier principe est celui suivant lequel les compétences législatives et exécutives sont réparties entre deux niveaux de gouvernement, l'un central
(ou fédéral), l'autre local (ou fédéré). En général, l'État fédéral n'exerce que des pouvoirs qui lui sont explicitement attribués. Les autres compétences sont soit réservées aux États fédérés, soit concurrentes et exercées en commun par l'État fédéral et les États fédérés.
Lorsque les niveaux existants n'offrent pas de moyens adéquats, il y a lieu de recourir à un centre de décision et à une mise en commun des ressources et des capacités. Le principe de subsidiarité peut alors être mis en œuvre.
Le deuxième principe implique que chaque niveau de gouvernement est autonome (ou souverain) dans le domaine de ses compétences et dans les limites imposées par la Constitution fédérale.
Le troisième principe enfin, consacre que les États fédérés doivent être représentés et participer aux décisions fédérales. Cette participation se concrétise typiquement dans le bicaméralisme, où la deuxième chambre représente de manière égalitaire les États fédérés. L'existence d'un noyau dynamique fédérateur implique un équilibre entre les membres de la fédération.
Après avoir étayé dans les lignes précédentes la notion du fédéralisme, il sied de préciser que le système politique de la RDC est ancré dans un unitarisme injustifié, dans une société plurielle qui exige des populations le nationalisme ou rien.
Benoît-Janvier Tshibuabua-Kapy’A Kalubi dans son article, Le fédéralisme et la gouvernance locale en République Démocratique du Congo, estime que le rassemblement unitaire étouffe inutilement les énergies qui auraient pu contribuer au développement. Pour lui, Le fédéralisme est le meilleur dénouement de la crise congolaise. Dans ce régime, La place du Président de la fédération n’aura plus une importance telle que dans le régime unitaire grâce à la réduction conséquente de ses pouvoirs en faveur des entités fédérées.
Photo tiers |
Les provinces disposeront des mêmes compétences, sans être subordonnées à qui que ce soit, pas même au Président de la fédération, celui-ci étant en charge des tâches régaliennes spécifiques, telles que la défense, la sécurité nationale, les affaires étrangères, la promotion du pays, responsabilités dont il a seul la compétence. Les provinces gèrent, notamment, les dossiers en matière d'éducation, de culture, de santé et de sécurité sociale, de justice, de tourisme, de transports et de travaux publics intérieurs, de télécommunication, d’aménagement, de police, de logement, d'exploitation de leurs ressources propres .
Les responsables provinciaux administrent leurs territoires et gouvernent sur leurs économies, de la concertation à l'exécution. Avec le fédéralisme, le risque de vote corrompu pour obtenir les faveurs de l'Exécutif fédéral serait écarté vu que le sénateur n'étant redevable qu’à sa province. La présence militaire est soumise à des règles strictes et égales à toutes les provinces, sous le contrôle du Sénat. Aucun déplacement, aucune construction, aucune occupation ne peut être opérée par les forces armées, sans le consentement du Sénat et des gouvernements provinciaux concernés. Les lignes qui précèdent conduiraient à dire que la mise en place du fédéralisme n'est donc pas déterminée par des critères géographiques ou numériques mais socioculturels et historiques, dont la R.D. du Congo présente un condensé plus qu'exhaustif.
Transplantant les trois principes du fédéralisme sus évoqués dans le contexte de la RDC, nous pouvons au premier coup d’œil voir que le chemin au fédéralisme est déjà balisé par le constitutionnaliste de 2006 à travers la décentralisation. En ce qui concerne le principe de la séparation, il existe déjà un gouvernement central (assimilé au gouvernement fédéral) et des gouvernements provinciaux (apparentés aux gouvernements des États fédérés). Le principe de l’autonomie, c’est le bien-fondé de cette réflexion, c’est à ce niveau que le développement des provinces coince parce que le pouvoir central n’accorde aucune autonomie aux provinces. Qu’elle soit politique, administrative ou financière, le pouvoir central influe toujours.
Avec la transformation des provinces en des États fédérés, nous estimons que le gouvernement fédéral agira à la limite de ses pouvoirs constitutionnels et interféra le moins possible dans l’administration de ces entités. En ce qui concerne le principe de la participation, c’est une occasion de donner enfin un travail à la chambre haute du parlement qualifiée par d’aucuns de budgétivore et de double emploi. C’est dans cette chambre ou seront prises les décisions qui concernent tous les États fédérés.
La carte administrative de la RDC (Photo du logcluster.org) |
En vertu des analyses ci-avant nous pouvons dire qu’en République Démocratique du Congo, la
création des États Fédérés est opportune d’une part et inopportune dans l’autre sens. Opportune en ce que tous les principes fondamentaux du fédéralisme sont sensés être d’application à quelques différences près dans la décentralisation. A ce niveau ce qui bloquerais c’est le changement du régime du pays qui implique la révision de la constitution et l’organisation d’un referendum. L’inopportunité de cette initiative tire son origine dans l’historique de la RDC, le fédéralisme a été réclamé plusieurs fois, mais chaque fois cela a échoué, car le peuple ne trouvait pas son compte dedans. C’était devenu une affaire des politiciens pour s’enrichir seulement. Les anecdotes qui suivent sont éloquent:
- CHOMBE a fait sécession du Katanga pour avoir le cuivre en créant un État autonome,
- KALONDJI l’a fait au Sud-Kasaï, pour avoir le monopole du diamant,
- Le cas du Bas-Congo, c’était pour mettre la main sur la porte d’entrée et de sortie du Congo, qui est Matadi,
- les Rwandophones sont en train de l’essayer pour mettre la main sur les richesses du Kivu et annexer cette partie au Rwanda,
- En Ituri, ils l’ont essayé à Bunia et à Aru, pour que l’Ouganda annexe l’Ituri et que les rebelles congolais exploitent le pétrole du Lac Albert et l’or de l’Ituri paisiblement.
Vous remarquerez que chaque fois l’intérêt national n’est pas au chapitre. Et comme si le peuple le savait, il y avait des réactions négatives partout. De nos jours ces idées de sécession refont surface toujours dans l’ancien Kivu. Après les élections du 31 décembre 2018, certaines tribus s’étalant sur les territoires de Mwenga, Shabunda, Uvira et Fizi au Sud Kivu, s’indignent de leurs faibles représentations dans les institutions tant au niveau national que provincial, cette situation les conduisent à demander la création d’une nouvelle Province du nom d’ « ELILA ».
Peu après cela, des nouveaux vents se déchainent après l’arrestation de Vital KAMERHE Directeur de Cabinet du Chef de l’État le 8 avril 2020 dans le cadre du présumé détournement des fonds publics destinés à l’achat et l’érection des maisons préfabriquées dans cinq provinces dans le cadre des travaux de 100 jours du Président de la République. Pendant que certains qualifient cette arrestation d’un signe élogieux de l’avènement de l’État de droit, d’autres la qualifie d’un acharnement politique et d’une campagne de diabolisation de celui qu’ils appellent affectueusement le pacificateur originaire du Sud Kivu. De ces tiraillements, certains Sud-Kivutiens estiment que c’est le Kivu qui est en train d’être écarté de la scène politique nationale, une pétition pour dénoncer cette pratique circulerait. D’autres personnes par contre, estiment qu’il est temps de réclamer l’État indépendant du Kivu afin de mettre fin à l’hégémonie de certaines tribus au sommet de l’Etat.
A ce stade, il va sans dire que l’adoption d’un État fédéral diminuerais ou mettre fin dans la mesure du possibles des envies de balkanisation toujours en hibernation depuis la nuit des temps. Avec le fédéralisme les États fédérés seront libérés du joug du pouvoir central et pourront mettre en exécution leurs plans de développement sans problème parce ils jouissent de l’autonomie politique, administrative et financière. Le régime fédéral mettra fin aux régimes inamovibles qui empêchent le décollage des États. A notre sens, le régime fédéral permettra enfin de rapprocher l’administration des administrés. Les détracteurs du fédéralisme, dirons que ce régime serait une occasion offerte sur un plateau d’or aux ennemis du pays qui ne rêvent que sur la balkanisation du pays d’exécuter leur plan mais non parce que la sécurité du pays sera toujours assuré par le pouvoir fédéral (pouvoir central dans le régime unitaire).
En définitif, disons que la R.D. du Congo, tant dans ses temps anciens qu'à l'époque de son accession à la souveraineté internationale, présentait des prédispositions socio-culturelles et géopolitiques favorables à un État fédéral. Les craintes des uns et des autres ne se justifient pas car les velléités sécessionnistes et les propensions à la balkanisation ont eu pour causes le partage de pouvoir et de redistribution du produit des richesses, ainsi que des luttes géopolitiques. L'État unitaire fortement décentralisé n'a pas non plus empêché récemment la partition de fait actuelle.
Fédéraliser la RD Congo est la chance de repartir à l'origine de notre société, afin d'établir un pacte juste et désiré de cohabitation pacifique et équilibré et d'établir les règles d'entraide entre toutes les entités congolaises. La démocratie est garantie par le fédéralisme, si le dirigeant de l'Exécutif fédéral est réellement dépossédé des pouvoirs extraordinaires qu'accorde le régime unitaire africain aux gouvernants et dont ils ont toujours abusé. Une question reste pendante, faut-il au nom de l’unité de la nation se calfeutrer au régime unitaire qui démontre sans doute ses limites ou opter pour le régime fédéral qui fait ses preuves dans certains États africains ?
Tribune de Jules MUDARHI CIRAGANE , Licencié en Droit économique et social à l’Université Officielle de Bukavu.
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